Besoin de torches

Nous avons besoin de torches
pour éveiller dans la nuit
le chant d'alouettes croyant au lever du jour
de chasser ainsi en nous comme elles
la peur du vide
ne plus craindre l'envol
l'enthousiasme de chanter
de fabriquer les caresses.

 

extrait de " A Côté " - 2004

*

 

Couper Court

Occuper un espace
pour quoi faire ?

Alors arrêter le chemin,
ne plus faire,
plus de lutte, simplifier,
brûler ses ailes pulmonaires,
ses ponts

…/…
Paralyser ses mécanismes en soi
coûteux
douloureux
douteux,
couper court à cette lassitude
celle de ne point parvenir à comprendre
les principales utilités.

Je laisse aux autres, le fardeau
de l'interminable
du minable débat
je m'offre un luxe divin, ce faisant.

 

extrait de " A Côté " - 2004

*

 

Le vieux cimetière d'Ayssènes

 

Comme si l'appétit de la mort se lassait,
les cimetières finissent un jour abandonnés.

Ces villages de défunts ont alors
le charme d'une estompe
n'ouvrant désormais que sur les herbes folles
d'un malheur enfin mis en jachère.

Village de haut lieu sur une arête farouche,
Ayssènes étire le rang de ses maisons.
Son clocher effilé tinte chaque heure
et le son voilé de sa cloche semble porter alentour
le deuil des enfants du pays, assassinés en quatorze
dans les marnes froides et plates du nord.

Entre les maisons, à droite de l'église,
à demi noyées dans les herbes sauvages,
des plaques épaisses de basalte
élèvent comme un clavier funèbre
leurs noirs degrés sur une pente aiguë.

On croirait les gravissant,
marcher sur des fragments de nuit,
sur les bémols et les dièses du chemin de la mort.

…/…
C'est à la fin du printemps qu'il faut monter là,
lorsque l'écume légère et dansante
des ombellifères blanches
ensevelit dans sa brume crémeuse
le flanc des stèles, les croix, les dalles funéraires.
Lorsque fauvettes et rossignols
chantent encore leur désir, en chorals cristallins.

Depuis longtemps les ornements
ont disparu du champ sacré.
Le transitoire s'efface.
Mais comment enterrait-on
en ce lieu ou la terre est si mince ?
Fallait-il creuser dans le roc
ou bien chercher la profondeur vers le haut,
vers le ciel, vers le trou noir du soleil ?

Mais les astres sont ignorants,
les ferrures se rouillent,
les pierres tombales de travers
ne reçoivent plus que les pleurs de la pluie
et depuis longtemps, plus de cercueils nouveaux
ne sont hissés à force de bras montagnards.

Parmi les ombelles balancées par la brise
et les parfums floraux,
je songeai aux esprits de ceux,
ayant étendu jadis sur la montagne
les dépouilles énigmatiques de leurs hostiles destins.

Je sentis alors passer comme un souffle
l'image de leurs visages perdus
sur fond de printemps,
de reconquêtes, de fécondations
et de l'empire crissant des sauterelles…

 

extrait de " Ballade en Ruténie " - 2006

 

 

Jacques Sénesse