LES EPURES

DU FEU

 

Danielle Feniou

 

 

L’heure est au silence

Sur la page oubliée

les fièvres ont brisé

les arêtes des roches

les murs d’eau

Sur le sable

les galets blonds

qu’une main caresse

suspendue au cri indigo

 

déposeur du doute.

 

J’ai senti que l’âme

en terre sèche revêtait

l’habit d’écorce

 

elle quittait le Jardin

Au-delà de l’espace

en deçà du temps

 

J’attendais la pluie

la germination du jade

viridité et renaissance

 

j’attendrai Kadhir

à la ceinture verte

du labyrinthe

dans l’eau et les parfums

dans l’absolue musique.

 

Pour tout signe

la pluie et le vent

d’Octobre

l’étreinte du froid

au fond de l’âme

Pour toute réponse

des herses de silence

épines noires

Dans l’espace

une vibration

une aurore

une certitude.

 

Je voudrais parfois

éteindre les étoiles

ou balayer le ciel

crier interpeller

la noire matière

nicher au cœur

de noyaux éteints

Il faudrait enduire

de laves en fusion

ce qui ne saurait

calciner incinérer

les dernières pierres

de pluie. En rafales

les plis des âmes.

 

 

 

Le violon finira de lacérer

l’image. Fin de la vision

L’ombre dissout le frisson

Le raga  du soir étire

les fils du rêve

 

A l’aurore une morne clarté

sculpte un regard stupéfié.

 

 

 

 

Que voudrait la source

sinon jaillir

des parois du désert

vers la souche avide

Le sang noir

déroule un long ruban

étouffe les sables

Le jour s’achève

Dans l’ombre des rochers

se dissolvent les soifs.

 

 

 

 

Lèvres en suspens

tissent les heures froides

Fines broderies

Fleurs inutiles sur les mots

masques subtils des

anciennes tragédies

à lire à oublier

pour revêtir une autre vie.

 

Aube de beauté

aux lèvres étincelantes.

 

Je cherchais une trace

mais les nœuds sous l’écorce

ont gardé leur secret

Ceignant l’écorchure du vent

je jetais sur l’arbre

des gerbes de cris

épis de mots

de mots en feu.

 

Tu as dit le mot seul

 

Se disent trop de mots

dont le sens a fui

La furie de la vie

chasse le silence

vide le regard.

La porte va se fermer

sur les mots refoulés

 

Au bout de l’escalier

s’éteint le bord du ciel.

 

 

 

Miroirs du ciel à l’aube

Je buvais l’eau froide

jusqu'à l’iris pâle

je doutais du velours

n’osais frôler les pétales

 

Le soleil gourd déjà

sur les rues du lac

attisait les fouillis d’herbes

 

Je restais assoiffée

encore aveugle aux signes

des orages à venir.

 

 

Sur la brume sèche

le sifflement des ailes

des oiseaux de bois

Comme un souffle

une caresse ils volent

sans bruit

Sur une onde chaude

ils s’élèvent, frôlent

les rapaces, virgules

noires dans l’espace

Au-dessus des collines

résonne encore leur cri

nos cris muets

nos cris dans la vibrance

de l’hiver.

Le ciel est si vaste

et grise la nuit

Se perdent les cris

dans la rumeur

des flocons

Le sommeil fuit

les contrées glaciales

La douleur perdure

pierre plantée là

près de l’orage

Seules les caresses tissent

l’écheveau du repos

une paix chaude

à la pulpe de tes doigts.

 

 

 

Le corps est mémoire

Dans l’ouate de l’ombre

la goutte glisse sur

les peaux chaudes

lourdes de la nuit

devient sel

L’éternité n’est pas

offerte à nos chants

Il est à inventer

la source la paroi

ruisselante et fraîche

à boire les rosées nouvelles

sur le granit déposées.

 

Il faudra trouver

le rocher où planter

ma peur

le roncier où

accrocher les cordes

qui lacèrent les entrailles

 

Trop d’épines dans

les mousses et les fougères

les genêts s’épuisent

sous les rafales

 

Il y aura soudain

le chant d’une alouette

et le gémir du bois

pour recueillir

l’absolu du désir.

 

 

 

Je t’ai trouvé

près des pierres

et des vieux chênes

 

branches bleues

bourgeons roses

 

corps ouvert

aux haleines des vents

au galop des cris

plantée et traversée

d’allégresse

 

branches bleues

bourgeons roses

 

A la cime de nos désirs

les rayons de tes mains.

 

 

 

 

Gravir les échelles

du silence

entre morsure et caresse

 

Résister à l’abîme

du doute

 

Attendre tendre

jusqu'à l’extrême

 

Ne pas rompre

l’énigme

la magie de l’instant

à venir

 

Le dernier pas

vers un visage.

 

 

Vague inconnue

de flots graves

et profonds

Voici le chant

de claire lumière

Le chant retrouvé

trop fragile encore

pour franchir

la barrière des sables

et s’offrir aux nuées

 

En lisière des houles

à fleur d’écume.

 

 

 

Le fil du désir

tisse le nuage

de nos mayas

Ni oubli

ni effacement

Les corps sont formes

ombres de l’espace

 

Alentour

le vide grince des dents.

 

 

 

Tu habites

des terres obscures

revêtues d’écorces

de silence

Dans l’ombre

tu laboures

les pierres

Dans la brume

tu n’entends pas

les sources

 

Il suffirait

qu’à l’aurore

ton âme respire

les chemins d’herbe

le calice des rosées.

 

 

 

 

Le soleil a taillé

les forêts de pierre

Dentelle de roches

venimeuses

Le pied se pose

muet

vide d’absence

 

Dans la roue de feu

la cueilleuse de miel.

 

 

 

La nuit est d’iris

 

Dépose les nœuds de l’âme

Sur les fils du soir

se perchent les étoiles

gouttes de feu

voix de mercure des

incendies de l’ombre

 

En l’espace chiffonné

trace l’infini chemin.

 

 

Editions Associatives Clapas - Tiré à Part n°74 - Septembre 1999